syndrome du bébé secoué : comment réfuter les fake news ?

synonymes : maltraitance – obstruction de justice – shaken baby syndrome – forensic expertise

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introduction

alors que le syndrome du bébé secoué est connu de longue date et admis de la communauté médicale, il existe un courant négationniste conduit en particulier par des cabinets d’avocats spécialisés qui prétendent redresser les torts de parents « injustement accusés ».

il n’appartient bien sûr pas à la communauté médicale d’accuser ou d’excuser qui que ce soit ; réciproquement, la justice, quand elle conclut à un non-lieu ou un acquittement, ne peut pas remettre en cause un diagnostic.

le rôle de l’avocat est d’introduire le doute ; quant au perpétrateur, il peut au moment du jugement s’être enkysté dans un déni sincère. si la médecine, se basant sur la science, n’a pas pour vocation de produire des certitudes, elle permet malgré tout d’établir des faits « au delà du doute raisonnable ». il semble important de reconnaitre la double signification du mot « doute » :

  • dans la méthode scientifique, en particulier en science médicale, où il est quantifié par les probabilités (considérées comme significatives si moins de 5% de risque que ce qu’on constate est du au hasard)
  • et dans la justice, où il bénéficie à l’accusé

le diagnostic médical et l’expertise sont compliqués par :

  • les intérêts à défendre (avocats)
  • la rareté de l’expertise clinique pédiatrique
    • de nombreux médecins « experts » sont en réalité des spécialistes d’adultes
  • des problèmes de terminologie avec une imprécision ou une ambiguïté des termes (Cf. ci-dessous)
  • une imagerie incomplète (pas de scanner…)
  • des termes faux amis (médical ≠ judiciaire) ; par exemple :
    • jugement (clinique)
    • conviction (scientifique)

la terminologie médicale

un flou peut être entretenu (intentionnellement ?) du fait de l’utilisation de termes vagues, ou de dénominations différentes pour désigner la même entité, ou d’acceptions différentes pour le même terme.

par exemple le terme « hématome sous-dural » (HSD) recouvre des entités différentes chez le nourrisson et chez l’adulte ; ceci est ignoré par des experts venant de spécialités adultes. par ailleurs, ce terme prête à confusion car le liquide correspond à du sang rapidement très dilué, et qui devient de plus en plus limpide avec le temps.

d’autre part, les termes hydrome, hydrome, hygroma sont vagues et ambigus et devraient être abandonnés.

terminologie
HSA : hémorragie sous-arachnoïdienne ; HSD : hématome sous-dural ; PC : périmètre crânien

fake news

fake news 1 : le saignement est dû à la réanimation

certains auteurs considèrent que la réanimation entraîne une hyperpression thoracique qui peut provoquer un saignement des veines cortico-durales (ceci néglige l’existence de valvules veineuses dans le système jugulaire).

en fait il existe des preuves autopsiques d’arrachement traumatique des veines cortico-durales , et l’imagerie est éloquente et cohérente.

SBS théories

fake news 2 : si pas de caillots, pas d’hématome

TC HSD daté
tdm et aspect macroscopique du prélèvement le même jour, à 24h
d’intervalle ; on note que le liquide s’éclaircit, que la densité au scanner
diminue, ce qui traduit sa dilution par le LCS.

un épanchement non cailloté est parfois appelé « hydrome, hygrome » (qui sont des termes non canoniques cf.supra, l’utilisation des ces termes suggère de la part de l' »expert » un manque de familiarité avec la réalité neurochirurgicale pédiatrique.

l’aspect du liquide sous-dural ponctionné ou drainé est typique : il s’agit dès le départ de sang mélangé de liquide cérébrospinal, qui se dilue progressivement (cf. ci-contre) et finit par être limpide. 

en fait, l’aspect de l’hématome sous-dural du nourrisson est une entité spécifique de l’âge.

cette entité n’est cependant pas spécifique de la cause : on retrouve exactement les mêmes lésions dans des traumatismes accidentels survenus devant témoins (cf. Infantile Subdural Hematomas Due to Traffic Accidents). mais l’HSD accidentel est alors associé à des signes d’impact importants (cf. ci-dessous), qui manquent dans le SBS.

fake news 3 : l’hématome sous-dural survient pour un secouement minime

Raul veines durales

on évoque une secousse minime lors d’une chute accidentelle, d’un jeu… cette confusion a pu être favorisée par des campagnes de prévention malheureuses (« l’enfant n’est pas un ballon… »)

en fait, il faut une énergie importante et une répétition du mouvement pour occasionner un arrachage veineux à l’origine de l’HSD. les modèles informatiques (Pr Raul) montrent la nécessité de secouements violents et répétés (cf. ci dessus) pour aboutir à un saignement intra-crânien ; les aveux des perpétrateurs sont terribles et éloquents : l’enfant a été « secoué comme un prunier« 

cette violence est confirmée par les lésions cutanées des membres, du thorax, et les décollement du périoste des membres correspondant à la prise du secoueur sur l’enfant.

les HSD dus à des traumatismes accidentels s’associent donc généralement à des signes d’impact bien visibles : bosse séro-sanguine, fracture ; de plus l’hématome intracrânien accidentel est plus volontiers extra-dural que sous-dural.

un traumatisme violent sans impact est donc bien un secouement.

fake news 4 : le saignement est spontané

les épanchements sous-duraux non traumatiques sont bien connus dans la méningite, ou associés à un kyste arachnoïdien (ce qui survient chez des enfants plus grands).

Raul modèle

par ailleurs, l’expansion des espaces arachnoïdiens (souvent à l’origine d’une macrocéphalie essentielle) et l’HSD du nourrisson surviennent au même âge et avec le même prépondérance masculine.

cette co-incidence s’explique par une fragilité particulière liée à l’âge et au sexe mais n’implique pas de rapport de causalité et n’indique pas l’absence de trauma.

en tout état de cause, les modèles informatiques de secouement ne montrent pas d’effet favorisant de cette expansion liquidienne sur la traction mécanique sur les veines, il y aurait même un effet protecteur.

fake news 5 : il faut un bilan médical extensif pour éliminer toutes les causes possibles d’HSD non traumatique

il existe en effet de multiples causes d’hématome sous-dural non traumatique, dans le cadre de maladies très rares.

en réalité, le diagnostic de maltraitance, même s’il nécessite une grande rigueur, est en règle générale simple et rapide sans être pour autant expéditif ; c’est un diagnostic d’urgence séniorisé.

  • le scanner et le fond d’œil bien interprétés sont caractéristiques
  • le bilan biologique standard fait en urgence élimine presque toutes les causes d’HSD non traumatique
  • les causes rarissimes d’HSD non traumatiques surviennent en règle dans un contexte médical connu antérieurement.

le diagnostic médical de maltraitance est donc fait en routine « au delà du doute raisonnable ».

fake news 6 : on ne peut pas prouver l’existence du trauma

il n’y a en effet généralement pas d’aveux ni de témoin indépendant.

en fait :

  • les lésions traumatiques sont la preuve du trauma (une fois éliminées les causes non traumatiques)
  • l’absence de signe d’impact oriente vers un mécanisme de secouement
  • la valeur diagnostique des élément médicaux a été établie (cf. ci-dessous)
SBS valeur prédictive
valeur diagnostique des éléments cliniques et para-cliniques dans des cas de tr traumatismes corroborés, accidentels VS non-accidentels.  HSD : hématome sous-dural ; HR : hémorragies rétiniennes ; BSS : bosse séro-sanguine ; la spécificité et la vpp de 100% de l’association HSD + HR sévère + absence de signe d’impact est une exception notable à la règle du doute scientifique (Cf. supra).

fake news 7 : comme l’enfant va bien, il ne peut pas s’agir d’un bébé secoué

il existe un préjugé répandu dangereux qui veut que tous les enfants secoués arrivent toujours dans un état grave, ce qui tient à :

  • un biais de recrutement : pour le neurologue, les patients ont des signes neurologiques, pour l’anatomo-pathologiste ils sont autopsiés
  • un biais de sélection : il n’y a de questionnement sur la maltraitance que dans les cas les plus graves
  • un biais de circularité : si on considère que tout les cas de maltraitance sont graves, on ne voit de maltraitance que dans les cas graves

ce préjugé est dangereux car si la maltraitance n’est pas diagnostiquée, il y a un risque important de récidive avec taux élevé de mortalité.

dans la littérature, la mortalité et la morbidité sont parfois évaluées à 20% et 50% environ respectivement ; dans notre expérience, la mortalité est « seulement » de 10%, ce qui reflète surtout l’exhaustivité du dépistage de la maltraitance (fond d’oeil systématique pour tous les traumas du nourrisson).SBS outcome 2

fake new 8 : les lésions datent d’un traumatisme obstétrical

un saignement intracrânien a pu être identifié dans 11% des naissances ; les lésions du traumatisme obstétrical se caractérisent par :

  • un saignement de topographie surtout basale (sous-temporal, tente du cervelet)
  • sa disparition rapide : normalisation en 4 semaines (Whitby)
  • des signes d’impact crânien : trace de forceps, bosse séro-sanguine, déformation, disjonction de sutures
  • des hémorragies rétiniennes, qui sont inconstantes, peu sévères (flammèches) et de disparition rapide

il faut noter par ailleurs que les antécédents de naissance traumatique et de pathologie périnatale constituent un facteur de risque de maltraitance

profil bébé

fake news 9 : on ne peut pas dater le trauma

même si la datation reste imprécise, l’histoire naturelle du saignement traumatique est connue, en se basant sur :

  • l’imagerie, en particulier le signal en IRM FLAIR et la modification rapide des images au scanner qui atteste de leur caractère récent (Natural history of traumatic meningeal bleeding in infants: semiquantitative analysis of serial CT scans in corroborated cases.)
  • le fond d’œil, en particulier la présence de lésions hémorragiques de tous types qui attestent du caractère récent, alors que la persistance de seulement des bulles témoigne de la disparition des autres lésions
  • il est possible dans bien des cas d’affirmer des lésions d’âges différents notamment sur l’IRM
  • de l’évolution des lésions cutanées et osseuses éventuellement associées

fake news 10 : les parents sont sincèrement innocents

le déni est un mécanisme psychologique puissant, en particulier devant un acte impulsif aux conséquences aussi graves.

  • « j’aime trop mon enfant… »
  • « je ne peux pas l’avoir fait donc je ne l’ai pas fait »

le temps fait son oeuvre, entre l’acte, l’enquête initiale et le jugement. le déni peut donc être sincère, même dans des cas où des aveux également sincères avaient été faits initialement.

ceci relève de l’expertise psychiatrique ; dans certains pays (US) l’usage du polygraphe est courant.

fake news 11 : les aveux obtenus ne sont pas sincères

dans les pays anglo-saxons, surtout aux Etats-Unis, le système du « plea-bargain » permet à un coupable de réduire sa peine en avouant. ce système ne s’applique pas en France aux cas de maltraitance. les aveux sont effectués sans contrainte, et semblent motivés uniquement par le besoin de soulager sa conscience.

il est frappant que les lésions de maltraitance avouée sont superposables à la description classique du SBS, ce qui permet de valider cette dernière en se basant sur des éléments non médicaux et non juridiques.

pour en savoir plus :

Confessed versus denied inflicted head injuries in infants: similarities and differences.
Vinchon M, Karnoub MA, Noulé N, Lampin ME.
Childs Nerv Syst. 2021 Oct 4. doi: 10.1007/s00381-021-05381-8

conclusions

  • le trauma crânien de la maltraitance est caractéristique
  • le diagnostic médical est généralement rapide et univoque
  • le tableau clinique et radiologique est corroboré par les aveux des perpétrateurs
  • les causes d’HSD non traumatiques sont rares, elles sont connues auparavant ou sont dépistées rapidement par le bilan standard
  • le diagnostic médical est ainsi établi « au delà du doute raisonnable »
  • les fake news ne doivent pas déstabiliser la justice
cours destiné aux juges, avocats, médecins légistes et neurochirurgiens

documentation

Finite Element Analysis of Impact and Shaking Inflicted to a Child

Shaken baby syndrome: what certainty do we have?

Confessed abuse versus witnessed accidents in infants: comparison of clinical, radiological, and ophthalmological data in corroborated cases.

The legal challenges to the diagnosis of shaken baby syndrome or how to counter 12 common fake news Matthieu Vinchon, Nathalie Noulé, Melodie-Anne Karnoub

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